« Que faire ? »
Autour de la peinture
de Joël Renard
La Chapelle du Quartier Haut SETE. Novembre 2010.
« Ce qui m’a toujours sauvé,
c’est que je n’ai jamais su ce que je voulais »
George Braque
Le travail de Joël Renard relève d’une
quête qui s’enracine avec fermeté et profondeur dans la question du geste
pictural, ou, plus précisément, dans l’acte de création en général. La nouvelle
exposition que le peintre nous présente dans l’Ancienne Chapelle du Quartier
Haut à Sète, « Que faire ? »,
vient le rappeler avec pertinence et insistance.
De nature parfois composite,
hybride, plurielle, cette peinture se fédère autour de quelques préceptes bien ciblés :
Quoi peindre ? Qu’est-ce que peindre ? Qu’est-ce que la peinture ?
Qu’est-ce qu’un peintre ? Le « Que
faire ? » de Joël Renard se donne comme l’unification de ces
questions laconiques, certainement parmi les plus complexes. De plus, la
connivence avouée avec le Che fare ?
de Mario Merz n’est assurément pas une simple et unique traduction en Français
de cette interrogation minimale, c’est bien le cœur métaphysique de la question
merzienne qui est ciblé, ainsi que son auréole ontologique, deux obédiences
présentes. Mais ici, pas de néon, la peinture se voudra auto-éclairante.
L’Ancienne Chapelle du Quartier Haut
devient avec Joël Renard un lieu de monstration qui se visite comme un atelier,
une caverne faite de questions soulevées, d’idées jetées, d’intentions
esquissées, lesquelles sont matérialisées par des formes, des couleurs, des
volumes, des rythmes, et une occupation singulière de l’espace.
Les diverses séries constitutives de
« Que faire ? » s’appliquent
donc, pour la plupart, à montrer leur processus de fabrication, soit le geste
du peintre. Que les peintures de l’artiste soient unifiées par une rythmique
verticale résultant de pochoirs empiriques comme le montre la série des 6
toiles moyennes de « Que ma joie
demeure » ; qu’elles soient inférieures en taille (40 x 60 cm), mais abondantes en
nombre comme cet accrochage en raz-de-marée effectué à partir d’un corpus de
124 tableaux sur des plaques de médium tous produits dans l’été à raison de 12
par jour ; qu’il s’agisse de reprises d’anciennes toiles évaluées comme de
seconde main, lesquelles sont réinvesties par ajouts à la bombe ou au
rouleau comme on peut le découvrir avec les « Peintures organisées » (panneaux de 60 x 60 cm unifiés en 180 x 180 cm), ou qu’il s’agisse
encore de l’installation qui obstrue passablement l’entrée du lieu, voire de
ces chaises posées sur des œuvres à même au sol, toutes ces séries montrent, de
près ou de loin, une peinture en acte, un palimpseste de l’acte de création. Le
« Que faire ? » est parfois conjugué
pour devenir un humble et didactique : « Voyez comment je fais ».
Ainsi,
Joël Renard ne montre pas seulement, il démont(r)e surtout ce qu’il mont(r)e,
il cherche à faire apparaître l’architecture nerveuse, dynamique, vivante,
mouvante, émouvante, de ses toiles. C’est « la peinture du dessous » comme il le dit si clairement qu’il
souhaite mettre en vue, mettre en vie. Les réserves, le support nu, cru, sont
les séquelles picturales de cette volonté de dévoilement poïétique. La surface
de nombre de ses œuvres laisse d’ailleurs aisément apprécier ce qui dans
d’autres tableaux ne peut être mis à la vue que par une radiographie. Tout le
repentir de l’artiste est visible : le réajustement du geste, l’erreur, la
correction… « Il faut que la toile efface l’idée » estimait Braque.
Certainement en accord avec ce précepte, il faut aussi, pour Joël Renard,
qu’elle fasse apparaître conjointement à cette disparition, la peinture
elle-même. L’entreprise est certes relevée, mais elle est noble.
Cette intention de mise à jour de ce
qui sous-tend les choses, ce qui les porte, est posée de manière formelle et
évidente avec la découpe et la dépose d’une partie du mur d’accrochage. La cimaise
s’escamote et laisse apparaître son soutènement, soit le mur de la Chapelle lui-même. Cette
action est en accord avec le projet pictural de Joël Renard, elle en est même
une métaphore aboutie, montrer le dessous des choses, montrer ce qui les porte.
Autre registre allusif à sa pratique
repérable dans le lieu, l’accrochage débordant des petits tableaux, lequel fait
sensiblement retour sur la poussée créatrice. « L’art naît par surcroît, par pression de surabondance. Il commence là
où vivre ne suffit plus à exprimer la vie » estimait André Gide. Et n’est-ce
pas précisément ce « surcroît »,
cette « pression de surabondance »
pour reprendre le terme de Gide, ou le résultat de ce « Que faire ? » pour garder les
mots de Joël Renard, qui s’imposent et que mentionne habilement le débordement
des cimaises par ce troupeau de petits tableaux de même format ? Transhumance
verticale, la peinture se déplace en cheptel sous l’œil otage d’un berger qui
est en réalité gardé par ses propres brebis. Joël Renard a fait de la Chapelle Haute une
bergerie prise au sens d’abri plus que d’enclos, de refuge plus que d’enfermement.
Chez ce peintre, le peintre et la
peinture s’indiquent, quelque chose de la caméra d’Henri Clouzot dans Le Mystère Picasso se rejoue là-dedans,
là-devant, et les égarements que le geste pictural induit également. Nul doute
par exemple que le format carré de 120x120 cm qui exhibe un ostensible « Et merde !», indique que la cible recherchée n’a pas été atteinte. C’est un
arrêt, un dépit qui révèle surtout à quel point l’artiste est en quête de quelque
chose qui manifestement fuit. Mais il insiste, il rectifie, reprend, cherche,
décline encore les formes, les pratiques, les ébauches, comme par exemple avec
cette suite de vocables : « Volpe »,
« Raposa », « Vos », « Fuchs », « Fox »,
soit des traductions de son propre nom dans diverses langues. Des sonorités
différentes qui toutes conduisent vers un même référent : le peintre. Joël
Renard signale symboliquement sa manière de faire, à savoir, des déclinaisons
multiples qui toutes convergent vers un même signifié : qu’est-ce
peindre, que peindre et que faire? L’identité personnelle,
« Renard », vaut ici pour celle de la peinture. Quand Joël Renard dit
« j’aimerai être pinceau »,
il ne plaisante donc pas... Plus qu’une métaphore, c’est une métonymie !
Que voir et que dire au final de
cette peinture en train de se faire ? Tout d’abord quelle vient assouvir une
pulsion créatrice qui répond au « Que
faire ? ». Ensuite qu’elle maintient cette question ouverte, qu’elle
la prolonge, qu’elle l’entretient, qu’elle la répète. Quand Braque admettait
avec clairvoyance : « ce qui
m’a toujours sauvé, c’est que je n’ai jamais su ce que je voulais »,
il indiquait que cette indécision lui a permis de maintenir sa quête jusqu’à le
sauver comme il l’estime. Pareil pour Joël Renard. Son « Que faire ? » signe une
identique indécision, et par là-même, une réitération picturale salutaire.
D’ailleurs, quand Joël Renard est à cours d’idée, « les ronds reviennent » nous dit-il. Sans doute est-ce là la
forme matricielle du « Que faire »,
le rond, la boucle, quelque chose qui toujours revient.
Plus
qu’une tautologie en somme, le « Que
faire ? » est un processus de travail qui se montre, qui montre
la peinture, et qui montre le peintre dans son incertitude, en doute – ici, le
« je doute donc je suis »
cartésien des Méditations métaphysiques semble être réajusté en un « je doute donc je peins »,
très proche de ces quelques mots consignés par Léonard de Vinci dans ses Carnets :
« Qui ne doute pas acquiert
peu ». De ce côté-là, Joël Renard est en bénéfice, et il nous en fait
profiter. « Que faire ? »
est à la fois un don et une donation.
David Brunel.
Docteur en esthétique, photographe,
chargé d’enseignement en Sciences de
l’art
à l’université de Provence,
Aix-Marseille I.
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